Recevoir, notre humanité.

Rédigé le 09/02/2021
Driss Jaydane


Haut lieu de spiritualité, le soufisme relève tant d’un enseignement, que de ce qui le fonde. À savoir une vérité constitutive de la gnose musulmane, c’est-à-dire d’un enseignement autre qui ouvre à une connaissance, qui révèle et par là, sauve. Car elle prémunit des dangers de l’Illusion. Car elle polie le coeur, le purifie, et ainsi, le protège de ce que les gnostiques qualifient d’ennuagement.

Mais cet enseignement ne doit pas nous donner à penser ou à croire qu’il serait contraire à l’ordre de la Loi. Il serait plutôt une intensification de la Loi, son intériorisation par des pratiques spirituelles ayant pour objet une connaissance dont le but ultime est l’anéantissement en Dieu, souvent incompris, rejeté, ou châtié.

On sait à ce propos ce qu’une figure telle que Halladj eût à payer pour avoir livré à la foule des croyants une part de la connaissance, des illuminations que lui avait offert la voie de l’intimité avec Dieu… Ainsi, lorsque Hallajd se trouvait en présence d’hommes de son temps, commerçants avides et retors, et que ces derniers lui demandaient où était Dieu, se voyait-il commandé de leur répondre, « Votre Dieu est accroché à vos chaussures… ».

Ainsi, lorsque ces hommes, choqués regardaient en direction de leurs sandales, ils ne pouvaient éviter de voir les dinars d’or ou d’argent qui y étaient cousus… Lorsque Mansour Halladj s’écria « Je suis la Vérité », il se vit condamné au plus terrible des supplices…

Mais l’Histoire du Soufisme n’est pas, loin s’en faut, le chapelet des souffrances que des martyrs, peut-être incapables de conserver en eux la puissance des secrets de l’intimité, eurent à endurer. Il est aussi, et surtout, voie de la délectation, et dans des cas autres, invitation à comprendre ce que vénérer Dieu peut vouloir dire. Et si l’on prend le temps de lire le, journal spirituel du grand Ruzbahan, on serait surpris d’y lire comment cet immense gnostique de l’Islam, sunnite, y qualifia les saints « d’épouses de Dieu »…

Étrange parole, n’est-ce pas ? Elle ferait, quelques siècles par avance, pâlir d’envie les tenants de la Théorie du genre… Pourtant, lorsque Ruzbahan qualifie les saints d’épouses, ce n’est pas pour les féminiser qu’il emploie cette formidable et révolutionnaire métaphore, mais bien pour livrer le secret de la situation métaphysique même du croyant qui, de fait, se doit d’être en situation de réception, afin que son âme soit fécondée par le Divin. Toute l’oeuvre de Rûmi ne parle, du reste, que de cela… Attendre que l’Aimé, Dieu, manifeste son désir lorsque Lui le veut, à l’Amant qui est le croyant, le pèlerin, celui qui attend que lui soit donnée l’illumination.

Cette situation métaphysique qui suppose que soit appliqué le principe fondamental d’orientation, ne laisse guère de temps au dogmatisme, aux jugements portés sur les uns, aux anathèmes jetés, avec tant de facilité, au visage des autres. Cette situation, attendre et espérer, aimer pour recevoir, est notre Humanité même.