Joha était considéré, de notoriété publique, comme une sorte de simplet, et l’on s’attendait de sa part à toutes sortes d’excentricités.
Joha, qui était passeur sur un bateau, accueillit un jour un érudit qui l’interrogea, non sans malice, sur ses connaissances.
« As-tu appris mon ami un peu de grammaire, de mathématiques, de théologie… ? ».
À chaque fois que Joha répondait par la négative, le savant se désolait en lui rétorquant :
« Mon pauvre ami, la moitié de ta vie est perdue ! ».
Au milieu du parcours, Joha se rendi compte que le bateau prenait de l’eau et que celui-ci n’était pas loin de sombrer. Sur le point de sauter, Joha se tourna vers son hôte et l’interrogea à son tour :
« Et vous, savez-vous nager ? »
« Non », répondit l’érudit.
« Mon pauvre ami, là c’est votre vie entière qui est perdue ! ».
Moralité ?
De la Docte Ignorance ; c’est ainsi que parlait Nicolas de Cuse de ces savants théologiens du Moyen Âge, qui pouvaient discourir de nombre de sujets et cependant manquer de maturité spirituelle et de lucidité.
C’est toute la différence entre le savoir et l’expérience. Pour exprimer cela, les Soufis parlent de « Science Utile » ; celle qui nous permet de cheminer et d’évoluer humainement, de réagir de façon juste et fructueuse dans des situations concrètes, de trouver des solutions et de résoudre des conflits.
Bien plus que d’un savoir abstrait, il s’agit là d’une science de comportement issue de l’expérience, qu’elle soit pratique ou spirituelle. Ces deux aspects ne sont pas exclusifs, ils sont opposés ici pour mieux faire ressortir leurs différences. Mais une connaissance abstraite, trop prédominante, peut devenir un voile handicapant dans son illusion d’autosuffisance.
Le même parallèle peut se faire aujourd’hui avec la politique ; là où un hiatus ne cesse de s’agrandir, aux yeux de tous, entre le dire et le faire. Les uns et les autres entretenant l’illusion de l’expertise, par la seule maîtrise du discours.