Notre invité d’exception, n’est autre que le philosophe, le très fécond romancier et l’inspirant orateur, Frédéric Lenoir. Avec une générosité émouvante, il s’est prêté au jeu des questions posées par les étudiants de l’école du Sens (NAFS Magazine). Dans cette interview passionnante, l’auteur à succès prône les vertus de la méditation, aborde les thèmes de la spiritualité et du sens de la vie, et soulève des questions relatives au bonheur de l’Homme, en général. Voyage au bout du monde… de Frédéric Lenoir.
Vous revenez d’une tournée de plusieurs mois, qui accompagnait la sortie de votre film sur vos ateliers de méditation et de philosophie dans des écoles, « Le cercle des petits philosophes ».
Une question d’enfant qui vous a interpellé ?
Oui, c’est « Pourquoi tu as voulu devenir philosophe ? ». Je me suis dit que c’était une sacrée bonne question. C’est venu au départ d’une histoire très triviale. Quand j’avais 9-10 ans, j’étais en vacances chez des amis, et il y’avait un âne qui s’appelait Socrate. J’ai posé la question : « ça veut dire quoi Socrate ? » On m’a répondu que c’était le nom d’un philosophe. Puis j’ai demandé : « C’est quoi un philosophe ? », on m’a dit que c’était quelqu’un qui réfléchissait aux grandes questions de la vie.
Je me suis dit que ça, c’était la chose qui m’intéressait le plus au monde parce que comme beaucoup d’enfants, je me posais plein de questions ; pourquoi on existe ? Pourquoi on meurt si on existe ? Est-ce qu’il y’a quelque chose après la mort ? Est-ce que Dieu existe ?
Ma vie a donc été un questionnement philosophique permanent et c’est pour ça que j’ai voulu en faire un métier. On est tous des petits philosophes, certains le demeurent car ça devient leur occupation principale, mais même si on n’en fait pas un métier, ça reste un état d’esprit. Se questionner sur la vie, ne jamais se contenter de certitudes figées. J’aime particulièrement le nom « École du Sens » (programme de formation créé par NAFS Magazine) ; car la quête de Sens est toujours une quête ouverte. On ne peut pas une fois pour toute, figer le sens des choses. On se donne « des » sens, on progresse dans notre réflexion, mais on est toujours en mouvement. La vie est un mouvement permanent, et le philosophe tel que je le conçois est celui qui accompagne avec le plus d’intelligence et de lucidité possible, le mouvement permanent de la vie. Le philosophe est toujours à l’écoute, toujours en éveil, à essayer de comprendre des choses, de tirer une signification de ce qui arrive, à la fois sur terre aux humains, dans l’aventure collective, mais aussi à soi. Et à chaque fois qu’il m’arrive une épreuve, une difficulté, je me questionne sur le sens que cela pourrait avoir pour moi. Se questionner sur le sens est pour moi l’essence de la philosophie.
Le philosophe tel que je le conçois, est celui qui accompagne avec le plus d’intelligence et de lucidité possible, le mouvement permanent de la vie.
Est-ce qu’un enfant philosophe est la garantie d’un adulte sage ?
Beaucoup d’adultes sont dans le formatage, c’est-à dire qu’ils ne font que répéter ce qu’ils ont reçu dans leur éducation, leur culture, leur famille etc. Ce que nous essayons de faire avec les enfants, c’est d’éveiller un esprit de questionnement pour qu’ils ne se contentent pas de réponses toutes faites. Et on s’aperçoit que les enfants adorent ça. Ils l’ont naturellement mais c’est étouffé ensuite par le moule familial et social. Vous voyez bien que dès que les enfants posent des questions métaphysiques, on leur dit : « tais-toi, mange ta soupe, ça on n’en sait rien… ». Cela étouffe leur questionnement et je crois que l’enfant gagne confiance en lui lorsqu’il sent que sa pensée est importante et que ses questions sont prises en compte. Pour moi, c’est ça qui permettra de faire des adultes, peut être pas sages, mais au moins qui raisonnent et qui ne sont pas uniquement mues par leurs affects et leurs émotions, ainsi que tous les préjugés de leur culture. Par ailleurs, l’apprentissage de la philosophie fait des adultes qui savent écouter. À la fin du film « Le cercle des petits philosophe », on demande à une fille de 9 ans « Que t’a apporté cet atelier philo ? » ; elle répond « J’ai compris qu’on pensait mieux ensemble ». Ça m’a beaucoup touché, car c’est au coeur de ce qu’on veut accomplir ; créer de l’intelligence collective. Il y’a eu une mesure d’impact qui a été faite scientifiquement sur les ateliers philo par l’école internationale de Genève, qui est une école de 4000 élèves. Ils ont comparé entre les enfants des classes qui ont fait des ateliers philos et ceux qui n’en avaient pas fait. Le résultat est que les enfants qui ont fait des ateliers philo ont une bien plus grande capacité d’écoute ; on apprend aux enfants à écouter les autres et du coup, ça change tout. Il suffit d’observer aujourd’hui les débats télé entre adultes, les gens ne s’écoutent pas et sont plutôt dans une posture de confrontation. Un débat démocratique est la capacité de se remettre en question, et de se dire que l’autre a peut-être raison.
Si les enfants apprenaient à faire ça dès leur plus jeune âge, je pense que ça fera des adultes qui seront des citoyens bien plus vivants dans cette démocratie, que simplement des gens qui sont enfermés les uns à côté des autres dans leurs certitudes.