Dépression & Injonction au Bonheur

Rédigé le 01/06/2020
Ghizlane Kaghat


Le terme de dépression a peu à peu envahi le discours commun des temps modernes, des médias et des disciplines de psychologie clinique et de psychiatrie. Ce terme est plus que jamais présent dans la parole que l’on reçoit en cabinet de la part du sujet qui consulte et qui dit « Je suis en dépression », ou « Je suis dépressif » voire « J’ai toujours été dépressif ». À une époque où l’on médicalise facilement cette dite « dépression » en ayant recours à divers psychotropes, sommes-nous encore capables, nous, professionnels de la santé mentale, de distinguer et de différencier de façon précise, les différents tableaux cliniques de cette maladie des temps modernes ? Sommes-nous capables par ailleurs, de décaler le patient de ce qui parfois devient une identité ou une forme de complaisance dans « l’Être » dépressif ?


Comment reconnaître une dépression ?


Les différentes modalités d’expressions de la dépression montrent bien leur singularité dans chacun des symptômes qui s’y réfèrent. On entendra divers signifiants : deuil, manque d’envie, mal-être, passage à l’acte, mélancolie, tristesse, dégoût de soi, douleur d’exister… pour ne citer que quelques termes qui reflètent les aspects variés des dépressions. Derrière ces termes, se cachent des symptômes : une perte d’appétit, des insomnies, des somatisations diverses, et de l’angoisse… beaucoup d’angoisse.


« Heureux, tu dois être heureux ! »


Parallèlement à cette maladie devenue le lot d’à peu près tous, une nouvelle ligne de conduite semble s’imposer : le devoir d’être heureux, toute défaillance par rapport à cette injonction étant donc pathologique (pathologie qui dès lors prendra le nom de dépression.) Tout se passe comme si cette règle impliquait de ne jamais souffrir moralement de rien ; ni d’une maladie somatique qui handicape, ni d’une perte d’un être cher ou d’une séparation, ni d’un échec scolaire ou professionnel. La dominance qui règne en maître, est celle du bien-être et de la capacité à toujours « positiver » les événements qui surviennent. Celui qui n’y parvient pas est dépressif et déroge dès lors à la règle du « devoir d’être heureux », ce qui somme toute, rajoute une autre composante au tableau : la culpabilité de ne point répondre à cette attente collective et sociale et témoigne d’une incapacité, d’une impuissance ou d’une faiblesse.


« Vous êtes dépressifs et coupables de l’être ! »


Dans ce contexte, perdre son boulot, sa mère ou son conjoint, mérite une pilule du bonheur que la pharmacologie range dans la catégorie « antidépresseurs » ou « anxiolytiques », censés faire revoir la vie en rose et annihiler la douleur ou l’angoisse. Règne alors la toute puissance d’une règle faisant fi de toute souffrance psychique normale, sous couvert d’une normativité de « l’être heureux et fort » ne ressentant jamais d’affects négatifs ou en tous cas, capable de les surmonter au plus vite.


Pourquoi aurions-nous le droit de souffrir d’une maladie somatique ou de douleurs postopératoires touchant au réel du corps et de ses organes et n’aurions-nous pas le droit de souffrir de douleur morale ou de la difficulté à assumer une perte ou une séparation ?


Alors que la tristesse, l’angoisse ou la colère sont des émotions inhérentes à notre condition d’humains, elles deviennent aujourd’hui des anormalités, des fautes morales à traiter de toute urgence par un médecin psychiatre. Ce qui devrait être inquiétant, pour nous supposés savoir, supposés professionnels de la santé mentale, c’est bien cet état de bien-être constant, que rien jamais, n’atteint ! On médicalise lorsque l’on devrait accueillir et interroger, lorsqu’il s’agirait d’assurer un lieu de questionnement et d’élaboration de ce qu’il devrait pouvoir rentrer dans un réseau de signifiants pour prendre sens et se dépasser.

Ce n’est peut-être pas là, le meilleur moment d’entreprendre une psychothérapie, mais là réside peut-être, l’occasion d’en entrevoir la possibilité.